[Droit du travail] Requalification d'une démission en licenciement ?

LE NON-PAIEMENT DES HEURES SUPPLÉMENTAIRES PEUT JUSTIFIER LA REQUALIFICATION D’UNE DÉMISSION EN LICENCIEMENT SANS CAUSE RÉELLE NI SÉRIEUSE

Ce mois-ci, Maître Martin-Staudohar, spécialiste en droit du travail et formée à la règlementation des risques psycho-sociaux, détaillera la problématique suivante.

 

LE CAS DE...

Madame FINANCIER est ravie de ce début d’année, non seulement elle a pu assister à l’avant-première de PADDINGTON AU PÉROU (elle a particulièrement apprécié la scène de poursuite de l’ours à dos de lama (!) ; elle en pleure encore de rire) mais en plus elle vient de réserver un circuit organisé au PÉROU pour 15 jours : au programme cours de tricot avec poils de lama alpaga, veillées à la flûte de pan… Elle a hâte.

Sauf que Madame BABAORUM vient de lui donner sa démission. Elle doit chercher une autre vendeuse qui travaille autant qu’elle. Ça ne se trouve pas sous le sabot d’un lama une vendeuse qui travaille 7/7 jours. Célibataire, sans enfant, une perle ! Elle a bien réclamé d’être payée des heures supplémentaires mais Madame FINANCIER a refusé… Elle devrait plutôt la remercier car sans elle, elle s’ennuierait toute seule chez elle !

Ce qui est contrariant c’est qu’elle a motivé sa démission en parlant de manquements que la boulangerie aurait commis à son égard et qui justifieraient sa démission.

Bon, ce n’est pas grave après tout ! Si ça lui fait plaisir !

Cependant, Madame FINANCIER reçoit une convocation devant le conseil de prud’hommes de BOULOGNE BILLANCOURT avec plus 70 000 € de rappels de salaire au titre des heures supplémentaires, du travail dissimulé et pour couronner le tout, une requalification de sa démission en licenciement en cause réelle et sérieuse du fait du non-paiement des heures.

Madame FINANCIER est sûre d’elle, à aucun moment elle ne parle dans sa démission des heures supplémentaires non payées, aucune requalification en licenciement n’est à craindre !

Le conseil de prud’hommes de BOULOGNE BILLANCOURT ne sera pas de l’avis de Madame FINANCIER : non seulement elle sera condamnée aux rappels de salaires mais en plus la démission sera requalifiée en licenciement sans cause réelle ni sérieuse. Madame FINANCIER est condamnée à près de 100 000 €, la salariée ayant 55 ans et 20 ans d’ancienneté.

Elle décide d’annuler son voyage et regarde des tutos sur le tricot en poils d’alpaga tout en éternuant (elle n’est toujours pas désensibilisée).

 

LE NON-PAIEMENT DES HEURES SUPPLÉMENTAIRES PEUT JUSTIFIER LA REQUALIFICATION D’UNE DÉMISSION EN LICENCIEMENT SANS CAUSE RÉELLE NI SÉRIEUSE

Une démission c’est quoi ?

C’est un mode de rupture du contrat de travail à durée indéterminée.

Quelles sont les conditions de validité de la démission ?

La démission doit résulter d'une manifestation claire et non équivoque de celui qui décide de rompre son contrat de travail (Cass. soc., 28 nov. 2012, n° 11-20.954 ; Cass. soc., 14 juin 2006, n° 03-48.413 ; Cass soc., 9 mai 2007, n° 05-40.518, Bull. civ. V, n° 70 ; Cass. soc., 5 mai 2021, no 19-16.181 ; CA Agen, 4 mai 2021, n° 19/01176).

la démission doit être :

– donnée librement, c'est-à-dire en dehors de toute contrainte ou pression morale ;

– explicite, ce qui signifie qu'elle ne peut pas en principe se déduire du comportement du salarié ;

La démission ne se présume pas.

La démission n’est soumise à aucun formalisme particulier, elle peut être écrite ou orale. Cependant, il est préférable qu’elle soit formalisée par écrit tant pour l’employeur qui se ménage ainsi une preuve de la démission que pour le salarié lorsque sa démission est motivée par le comportement de l’employeur.

L’important étant que le salarié ait manifesté clairement sa volonté de démissionner.

Lorsqu’à l’origine de la démission du salarié se trouvent des manquements de l’employeur, il est possible de faire requalifier la démission en un licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

La lettre de démission doit-elle être motivée ?

La lettre de démission n'a pas à être motivée pour être valable et produire tous ses effets (Cass. soc., 22 juin 1994, n° 90-42.143).

Elle n'a pas non plus à indiquer la date de sa prise d'effet, ni la durée du préavis que le salarié doit effectuer, ni mentionner expressément le terme « démission ».

En revanche, une lettre de démission qui serait motivée par le comportement de l'employeur (non-paiement des heures supplémentaires, modification du contrat de travail, etc.) peut être requalifiée en prise d'acte et produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

C’est ce que vient de rappeler la Cour de Cassation dans un arrêt du 15 janvier 2025(Cass. soc., 15 janv. 2025, n° 23-16.286 F-D)

Ainsi, la Cour de cassation a retenu que la cour d’appel ne pouvait valablement rejeter la demande de requalification de la démission en licenciement sans cause réelle et sérieuse, notamment fondée sur l’absence de paiement d’heures supplémentaires, après avoir fait droit en partie à cette demande et sans rechercher si le manquement tiré du défaut de paiement des heures supplémentaires était de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

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