[Droit du travail] Une faute disciplinaire pour un fait privé ?

 

PEUT-ON ÊTRE LICENCIÉ DISCIPLINAIREMENT POUR UN FAIT TIRÉ DE SA VIE PERSONNELLE ?

Ce mois-ci, Maître Martin-Staudohar, spécialiste en droit du travail et formée à la règlementation des risques psycho-sociaux, détaillera la problématique suivante.

 

LE CAS DE...

Madame FINANCIER se remet de la somme qu’elle a du verser à Madame BABAORUM et dont toute la boulangerie a entendu parler…

Afin de resserrer les liens entre les salariés, et surtout éviter qu’ils la traînent aux prud’hommes, elle décide d’organiser un week-end en Auvergne.

En fermant les yeux cela ressemble un peu aux montagnes du PÉROU, avec ateliers découverte du Pérou, accrobranche déguisé en ours, cours de flûte de pan.

Rien de tels pour rapprocher l’équipe, ils vont A-D-O-R-E-R. Sauf que pendant le séjour, Monsieur PAINAUCHOC, est parti avec de l’alcool et du cannabis, qu’il fume dans la hutte dans les arbres et qu’il partage avec son apprenti.

Celui-ci a dû inhaler toutes les vapeurs de fumée. Le lendemain lors de la session accrobranche il restera coincé dans la tyrolienne en costume d’ours réclamant de la confiture de marmelade.

Les pompiers ont dû intervenir et venir le chercher à 30 mètres de hauteur, celui-ci criant qu’il était attaqué par des abeilles…

Madame FINANCIER est atterrée… mais n’a pas le choix. Elle licencie pour faute grave Monsieur PAINAUCHOC sur les conseils de Maître CODE DU TRAVAILANNOTÉ.

 

PEUT-ON ÊTRE LICENCIÉ DISCIPLINAIREMENT POUR UN FAIT TIRÉ DE SA VIE PERSONNELLE ?

Un salarié ne peut commettre une faute disciplinaire engendrant une sanction que s’il est en situation de travail

Ce qui signifie donc qu’un salarié ne peut pas être sanctionné ou licencié en raison d'un comportement, même répréhensible, commis au cours de sa vie privée.

 

Cela veut dire qu’aucun des faits de la vie privée ne peut générer une sanction ?

NON PAS TOUT À FAIT :

Il peut être sanctionné si le fait de vie personnelle caractérise un manquement à son obligation de loyauté et de probité.

Quels sont les fondements protégeant les faits de la vie personnelle du salarié ?

L’article 9 du Code civil qui dispose : « Chacun a droit au respect de sa vie privée »

En conséquence, sur la base de cet article, la jurisprudence considère que les faits qui relèvent de la vie personnelle du salarié (mœurs, relations familiales, comportements extérieurs à l'entreprise, opinions politiques, etc.) ne peuvent pas justifier un licenciement disciplinaire (Cass. soc., 23 juin 2009, n° 07-45.256 ; Cass. soc., 22 janv. 2025, n° 23-10.888).

Il faut cependant distinguer vie privée et vie personnelle.

La Cour de cassation distingue :

  • la vie privée, qui se rapporte à la protection du domicile, de la correspondance et de la vie sentimentale, c'est-à-dire l'intimité de la vie privée, et qui constitue une liberté fondamentale ;
  • la vie personnelle, qui vise tous les comportements du salarié qui sont sans rapport avec l'exécution du contrat de travail.

Le licenciement qui porte atteinte à l'intimité de la vie privée du salarié est nul tandis que le licenciement fondé sur un fait tiré de la vie personnelle du salarié sans relever de l'intimité de sa vie privée est seulement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

(Cass. soc., 25 sept. 2024, n° 23-11.860 ; Cass. soc., 25 sept. 2024, n° 22-20.672)

En conséquence, une sanction disciplinaire ou un licenciement disciplinaire peut être prononcé lorsque le fait tiré de la vie personnelle s’accompagne d’un manquement du salarié à une obligation découlant du contrat de travail (Cass. Ass. Plén., 22 déc. 2023, n° 21-11.330), telles que l’obligation de loyauté ou de sécurité.

C’est ce que la Cour de cassation a retenu.

Dans un arrêt du 25 septembre 2024 :

Le fait pour un salarié d'avoir été contrôlé par la police en possession d'un sac contenant du cannabis après sa journée de travail alors qu'il se trouvait sur la voie publique à bord de son véhicule, dès lors que le contrat de travail interdisait la prise de stupéfiants avant ou pendant le service mais pas après (Cass. soc., 25 sept. 2024, n° 22-20.672)

Dans un arrêt du 22 janvier 2025 :

Le fait pour une salariée, lors d'une croisière organisée par l'employeur pour récompenser les lauréats d'un concours interne, d'avoir fumé le narguilé dans sa cabine, en présence d'une collègue enceinte, et d'avoir obstrué le détecteur de fumée, au mépris des règles de sécurité applicables à bord du bateau (Cass. soc., 22 janv. 2025, n° 23-10.888).

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