[Droit du travail] Un salarié travailleur handicapé déclaré inapte
Ce mois-ci, Maître Martin-Staudohar, spécialiste en droit du travail et formée à la règlementation des risques psycho-sociaux, détaillera la problématique suivante :
UN TRAVAILLEUR HANDICAPÉ EST DÉCLARÉ INAPTE, QUELLES SONT LES OBLIGATIONS EN MATIÈRE DE RECLASSEMENT ?
Avant toute chose, comment un salarié acquiert-il le statut de travailleur handicapé ? Est considérée comme travailleur handicapé, toute personne dont les possibilités d'obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite de l'altération d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales ou psychiques (C. trav., art. L. 5213-1). Le statut de travailleur handicapé est reconnu, à titre temporaire ou définitif, par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH). Les décisions de la CDAPH font l'objet d'une révision périodique (CASF, art. L. 241-6). Quelles sont mes obligations en matière de maintien dans l’emploi envers le salarié travailleur handicapé ? L’employeur doit prendre « en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées » permettant au travailleur de conserver un emploi, dès lors que les charges consécutives à leur mise en œuvre ne sont pas disproportionnées. Le refus de prendre de telles mesures « peut être constitutif d’une discrimination » (C. trav., art. L. 5213-6). Mais alors quelles sont ces mesures appropriées ? Pour permettre l'emploi ou le maintien du travailleur handicapé dans l'entreprise, le poste de travail doit être aménagé en fonction de la nature et du niveau de handicap. Le médecin du travail doit être consulté sur les mesures d'aménagement et d'adaptation envisagées. Il peut s’agir de l’adaptation des machines ou des outillages, d’un aménagement des postes de travail, de la mise en place des équipements individuels nécessaires, de l’aménagement d'un ordinateur, ou encore de mesures d'accompagnement, et d’aménagement des accès aux lieux de travail (C. trav., art. L. 5213-6). Peut-on bénéficier d’aides pour aménager les postes des travailleurs handicapés ? L'entreprise peut bénéficier des aides financières de l'État (C. trav., art. L. 5213-10). Ces aides peuvent concerner notamment l'adaptation de machines ou d'outillages, l'aménagement de postes de travail, les équipements individuels nécessaires aux travailleurs handicapés pour occuper ces postes, les accès aux lieux de travail. Elles peuvent également compenser des charges supplémentaires d'encadrement. L'aide financière de l'État peut couvrir jusqu'à 80 % de la dépense, 50 % s'il s'agit de dépenses d'encadrement supplémentaire. La demande d'aide doit être adressée, avec l'avis du CSE, au préfet du département, accompagnée d'une description technique du projet et d'un devis estimatif (C. trav., art. R. 5213-32 à R. 5213-38). Par ailleurs, l'entreprise peut bénéficier du conseil et de l'aide financière de l'Agefiph. Elle peut également déduire certaines dépenses, qui n'ont pas déjà fait l'objet d'une aide, de sa contribution Agefiph ou demander une aide à l'emploi en cas de « handicap lourd ». Et dans le cadre de ma recherche de reclassement pour un travailleur handicapé déclaré inapte, a-t-on des obligations spécifiques ? L’employeur doit procéder à une recherche de reclassement approfondie afin de tenter de maintenir le travailleur handicapé dans son emploi. Ainsi, l'employeur qui, malgré l'importance de ses effectifs et le nombre de ses métiers, ne justifie pas d'études de postes ni de recherche d'aménagements du poste du salarié et n'a pas consulté le service d'appui au maintien dans l'emploi des travailleurs handicapés (SAMETH), malgré les sollicitations du salarié, doit être considéré comme ayant refusé de prendre les mesures appropriées pour permettre à ce dernier de conserver un emploi. Le licenciement est alors constitutif d'une discrimination à raison d'un handicap et encourt la nullité (Soc., 3 juin 2020, n° 18-21.993) Dans ce cadre, le salarié doit fournir au juge des éléments de fait laissant supposer une discrimination, tels que le refus même implicite de l’employeur de prendre des mesures d’aménagements raisonnables préconisées par le médecin du travail ou le CSE, ou encore d’accéder à une demande du salarié de saisine d’un organisme spécialisé (Cass. soc., 15 mai 2024, nº 22-11.652). En conséquence, la discrimination ne sera caractérisée que dans le cas où il existait effectivement des mesures concrètes et appropriées d’aménagement raisonnables, qui n’ont pas été prises par l’employeur, qui en avait pourtant connaissance. |
LE CAS DE...
Madame FINANCIER a embauché une salariée travailleur handicapé au poste de vendeuse. Hélas son état de santé s’est dégradé ces derniers temps, et elle se trouve en arrêt maladie depuis maintenant plusieurs mois.
Une visite de reprise est organisée, et ce que craignait Madame FINANCIER se confirme, Madame MADELEINE est déclarée inapte par le médecin du travail. Il spécifie dans son avis qu’un reclassement est envisageable à un poste qui n’impliquerait pas de station debout prolongée.
Madame FINANCIER n’a pas de poste au sein de sa boulangerie qui lui permettrait de respecter les préconisations du médecin du travail. Elle se voit contrainte de licencier Madame MADELEINE pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Une fois n’est pas coutume, Madame MADELEINE saisi le Conseil de prud’hommes afin de contester son licenciement. Elle sollicite sa nullité pour discrimination à raison d’un handicap, Madame FINANCIER n’ayant aucunement pris les mesures appropriées pour lui permettre de conserver un emploi dans le cadre de sa recherche de reclassement.
Madame MADELEINE soutient que l’employeur a l’obligation de prendre ces mesures, et ce indépendamment des sollicitations du salarié. Le refus de l’employeur se caractérisant par son absence de diligence.
Madame FINANCIER ne comprend pas l’argumentaire de son ex-salariée.
Ni le médecin du travail, ni la salariée, ne l’ont informée de l’existence de mesures concrètes et d’aménagements permettant le maintient de Madame MADELEINE dans l’emploi. Personne ne l’a sollicitée non plus pour qu’elle prenne attache avec un organisme d’aide à l’emploi des travailleurs handicapés !
Comment dans ce cadre pourrait-on lui reprocher le refus de prendre de telles mesures ? Pour une fois, Madame FINANCIER n’a pas tort.
Il n’existe aucun élément laissant supposer une discrimination. En conséquence, le licenciement n’encourt pas la nullité pour discrimination.
Madame FINANCIER est soulagée, le Pérou attendra.
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